Des hommes du 150e bataillon Canadien Français, Angleterre, 1917. Joseph Ernest Lapointe est debout, à l’extrémité de la table, un fusil dans les mains.
Joseph Ernest Lapointe
Mon grand-oncle, Joseph Ernest Lapointe, était le fils de Joseph Lapointe et d’Octavie Lamontagne. Il fut parmi les 66,000 Canadiens qui ont perdu la vie durant la Grande Guerre de 1914-1918. Il repose au cimetière militaire de Wailly, dans le Pas-de-Calais, à quelques kilomètres d’Arras. Volontaire1, il s’enrôla, au grand dam de ses parents, le 17 août 1916, dans les rangs du 199e bataillon Canadian Irish Rangers2. Il avait 21 ans. Quelques mois plus tard, il s’embarqua à Halifax sur le RMS Olympic et arriva en Angleterre le 26 décembre 1916. Là-bas, il subit un rigoureux entraînement militaire en vue de rejoindre les troupes sur le continent.
Il nous a laissé quelques lettres et cartes postales que je conserve jalousement. Cependant, cette correspondance concerne uniquement son séjour en Angleterre. La courte période qu’il vécut dans les tranchées ne lui laissa peut-être pas le temps de coucher témoignage sur papier, ou bien, et c’est plus probable, cette correspondance ne m’est malheureusement pas parvenue.
D’abord au 199e bataillon, on le transféra par la suite au 150e. Le 28 février 1918, il débarqua en France et rejoignit le 22e bataillon (le futur 22e régiment) le 14 mars. Le 22 avril, il fut tué au front (kill in action) comme en fait foi la note laconique que l’on retrouve dans ses états de service. Rien de bien grandiose ou d’héroïque, l’histoire de Joe. Il survécut à peine plus d’un mois dans l’enfer des tranchées. C’est pourtant la véritable histoire de la guerre, celle de gens qui meurent, sans tambour ni trompette…
Joseph, à droite, avec deux camarades du 199e bataillon
Je me suis tout de même demandé ce qui s’était passé ce jour-là, celui où il mourut. J’ai donc fait des recherches. Je me suis procuré une copie de ses états de service, consulté les archives à Ottawa, mais il n’y avait aucun détail sur les circonstances de sa mort ou encore, de la bataille qui pouvait s’être déroulée. Peut-être s’agissait-il d’une simple escarmouche, d’un obus3 ou d’une tentative de désertion4, qui sait!
En avril 1918, les Allemands avaient débuté une grande offensive dans le but de briser le front occidental. Cependant, selon l’historien Jean-Pierre Gagnon, le 22e bataillon était resté à l’écart des combats, dans les tranchées de la zone Lens-Vimy. Le journal de guerre du bataillon nous apprend que le 22 avril 1918, jour de la mort de Joseph, son unité occupait des tranchées au sud-est de Mercatel. Lorsque l’on se donne la peine d’examiner le fil des événements consignés dans ce journal, on se rend compte qu’à peu près chaque jour, des soldats mourraient même s’il n’y avait pas d’engagement notable avec l’ennemi.
La légende veut que ce 22 avril, son père ait entendu des bruits de bottes militaires dans la maison, à St-Camille de Bellechasse. Au même moment, sa mère, qui s’était allongée quelques instants pour faire une sieste, fut éveillée par l’impression que l’on tirait sur sa robe. Le sombre pressentiment de la mort de leur fils ne cessa de les hanter jusqu’à ce qu’ils reçurent la mauvaise nouvelle des autorités militaires.
Dans les livres…
Dans son livre « Écrire sa guerre » l’historien Michel Litalien donne la parole aux soldats Canadiens français de la Grande Guerre. Des extraits des lettres et des photos de Joseph Ernest Lapointe y figurent. Dans un autre ouvrage, « Dernier espoir pour la gloire: Le 150e Bataillon (Carabiniers Mont-Royal), 1915-1918 », Michel Litalien raconte l’histoire de cette unité canadienne-française. Il contient photos et anecdotes sur Joseph-Ernest Lapointe.
Une page du journal de guerre du 22e bataillon. Le texte indique que le 22 avril, un homme a été tué, un autre blessé
Résumé des états de services de Joseph Ernest Lapointe
- Date de naissance : 26 juillet 1895
- Décès : 22 avril 1918
- Lieu de naissance : Ste-Claire, comté Dorchester, Québec
- Lieu du décès : Sud-Est de Mercatel, près d’Arras, France
Enrôlement
- Domicile lors de l’enrôlement : 113, Anderson, Montréal
- A servi dans la milice avant l’enrôlement, au 55e Irish Canadian Rangers
- S’enrôle avec le 199e Overseas Irish Canadian Rangers le 17 août 1916
Dans le corps expéditionnaire canadien
- Embarquement sur le RMS Olympic le 16 décembre 1916
- Arrivée en Angleterre le 26 décembre 1916
- Affecté au 23e bataillon de réserve Shoreham, à Witley camp le 10 mai 1917
- Affecté au 150e bataillon canadien-français le 14 mai 1917
- Hospitalisé du 23 juillet 1917 au 27 septembre 1917
- Affecté au 22e bataillon canadien-français le 27 février 1918
- Débarque en France le 28 février 1918
- Rejoint le Canadian corps reinforcement camp le 2 mars 1918
- Rejoint son unité (le 22e bataillon) au front le 14 mars 1918
- Tué au front le 22 avril 1918, au sud-est de Mercatel, près d’Arras.
Faits à signaler durant la période où Joseph Lapointe était au front avec le 22e bataillon
15 mars 1918
Le soldat Arthur Charles Degasse fait face au peloton d’exécution pour «désertion». Comme Joseph avait rejoint le 22e la veille, on peut s’imaginer ce que pouvait ressentir la jeune recrue, confrontée non pas à l’ennemi, mais à la mise à mort d’un canadien-français par des canadiens-français!
21 mars au 18 juillet 1918
Offensive allemande « Michel » du printemps 1918. À la suite du traité de Brest-Litovsk qui conclut une paix séparée entre la Russie soviétique et l’Allemagne, cette dernière se retourna avec toutes ses forces contre le front occidental. Bien que le 22e n’ait pas été impliqué directement dans les affrontements, il en a tout de même subi les conséquences indirectes. Ainsi, du 26 au 28 mars, c’est une marche forcée de 48 km, parfois sous la pluie battante, qu’ont dû subir les hommes afin d’aller relever une unité anglaise en pleine débandade. Une fois sur place, les soldats n’ont pu se reposer puisqu’il fallut consolider les positions en creusant des tranchées.
2 avril 1918
Mort de l’aumônier du bataillon, le capitaine-abbé Rosaire Crochetière, tué par un obus. Il s’agit d’un moment difficile pour ces hommes croyants et profondément catholiques. L’abbé Crochetière était très estimé par tous les soldats du 22e.
21 avril 1918
L’aviateur allemand Manfred von Richthofen, mieux connu sous le nom de «Baron rouge» est abattu, vraisemblablement par des tirs provenant d’une tranchée australienne.
La commune de Wailly honore le soldat Joseph Ernest Lapointe
Le 11 novembre 2015, en France, la commune de Wailly a honoré Joseph Ernest Lapointe en donnant son nom à la Maison des Associations.
Liens
Faites un saut chez Athéna Édition. Cette maison d’édition publie plusieurs ouvrages incontournables sur la Grande Guerre et les combattants Canadiens-Français.
Visitez le blogue de l’historien Carl Pépin.
On peut visiter le mémorial virtuel de Joseph Lapointe sur le site des anciens combattants.
Notes
1. La loi sur le service militaire (conscription) a été adoptée qu’à la fin d’août 1917 et ne sera appliquée qu’en janvier 1918. La majorité des 630,000 hommes qui composaient le corps expéditionnaire canadien était donc constituée de volontaires. De ce nombre, 24 000 conscrits auraient atteint le front et 1270 y seraient morts. 169 (13,%) seraient des francophones. Sur les 2459 francophones qui auraient perdu la vie en France et en Belgique durant la Grande-Guerre, moins de 7% étaient des conscrits.
Source : Jean Martin, « Un siècle d’oubli : Les Canadiens et la Première Guerre mondiale (1914-1918) ». Athéna Édition, 2014.
2. Le 199e était un régiment Canadien-Irlandais. Il est d’ailleurs singulier que Joseph se soit enrôlé dans cette unité alors qu’il était unilingue francophone. Il eut tout de même l’occasion de visiter l’Irlande avec ce bataillon, avant d’être transféré, à son grand soulagement, dans le 150e Canadien français.
3. L’artillerie fut première cause de décès durant la Grande Guerre.
4. Au cours de la Grande Guerre, sept Canadiens français sont passés en cour martiale et condamnés au peloton d’exécution. Pour en savoir davantage sur le sujet, on peut consulter l’ouvrage de Patrick Bouvier « Déserteurs et insoumis – Les Canadiens-Français et la justice militaire (1914-1918) » chez Athéna éditions. De même, une entrevue avec Patrick Bouvier à l’émission « Aujourd’hui l’histoire », est disponible en suivant ce lien.